Martel accueille le colloque
national des graffitis anciens


Christian COLAS répond aux questions de
Pierre VERDIER pour actu.fr/lot

Date de publication : janvier 2024 – Presse N°01

Tous les deux ans ce colloque se tient dans une ville abritant des graffitis remarquables. Organisé par le Groupe de Recherche en Graffitologie Ancienne (GR.GA), s’y retrouvent des passionnés des graffitis anciens qui font état de leurs dernières analyses et recherches, voire de leurs dernières publications.

Ce colloque se tiendra au Palais de La Raymondie de Martel, le samedi 30 et dimanche 1er octobre 2023. Son président Christian Colas répond à nos questions.

Un graffiti n’a pas toujours bonne presse. Pourriez-vous nous indiquer ce qu’est un graffiti ancien ?


Christian Colas : Heureusement nous n’en sommes plus au temps où les graffitis étaient vus comme des expressions obscènes de toilettes publiques ! Un graffiti ancien c’est une inscription ou un dessin laissé sur un mur par un anonyme il y a des décennies ou des siècles. Ils sont fréquents dans les lieux prestigieux, monuments civils ou religieux mais aussi à l’inverse dans les lieux de relégation les plus sombres comme les prisons. Dans tous les cas il s’agit de marquer son passage, d’esssayer d’échapper à l’anonymat, d’essayer d’exister.

Mais qu’est-ce qu’un graffiti ?


En fait en donner une définition est assez compliqué. D’abord le mot « graffiti ». Il est italien et est apparu dans la langue française comme le pluriel de « graffito », assez récemment, au milieu du XIXe siècle, dans le livre de Raphaele Garrucci qui traitait des « Inscriptions au stylet » sur les murs de Pompéi où elles étaient nombreuses et bien conservées sous la couche de lave qui avait recouvert la ville en 79 après JC. Avant Garrucci, la langue française ne comportait pas de mot pour désigner ces inscriptions et dessins pourtant présents depuis des siècles ici en France. Depuis le mot a été francisé comme d’autres pluriels italiens. Il y a d’ailleurs parmi nous deux écoles : ceux qui acceptent cette francisation et qui disent et écrivent sans difficulté un graffiti, des graffitis et qui préfèrent garder la forme italienne qui veut qu’on écrive et qu’on dise : un graffito, des graffiti.

Qu’est-ce que désigne vraiment ce mot ?


L’art a soudain popularisé et valorisé le graffiti. Des artistes de premiers plans comme Keith Haring ou Jean Michel Basquiat, pour ne parler que des plus fameux, ont commencé par écrire et dessiner sur les murs de New-York, par être poursui- vis et maltraités par la police, avant de voir leurs œuvres exposées sous forme de street art dans des galeries fameuses et atteindre des prix faramineux en très peu de temps. Je tiens à cette référence, à ces artistes, d’abord parce qu’ils sont remarquables mais aussi parce qu’ils me permettent de définir ce qu’est un graffiti. Si au début ils ont fait du graffiti, ensuite ils s’en sont éloignés dans le street art. Je m’explique : les auteurs de graffitis et les street artistes ont en commun d’intervenir sur des supports visibles non autorisés et non prévus à cet effet : les murs des villes, pour aller vite. Mais à part cela, tout les sépare! Tout les sépare voici pourquoi : tandis que le street artiste prépare longuement ses œuvres avant de les exécuter sur un mur, l’auteur d’un graffiti agit le plus souvent spontanément, impulsivement, tandis que le street artiste vise en fin de compte à être connu et reconnu. L’auteur de graffitis au contraire cherche l’anonymat, tandis que le street artiste a le plus souvent pour ambition que ses œuvres soient exposées et vendues en galerie. L’auteur de graffitis ne vise aucun but marchand. Voilà donc en fin de compte ce qu’est un graffiti : une expression écrite, dessinée, sculptée, placée sur un support non prévu à cette effet, réalisée de manière spontanée par un anonyme qui ne cherche pas à en tirer profit. On a appelé l’étude de cet objet, le graffiti, tout simplement la Graffitologie.

Depuis la préhistoire les graffitis ont toujours existé. On les trouve partout, mais plus particulièrement en certains lieux et sous des formes très diverses. Témoins de leur époque, que nous apprennent-ils ?


C’est un peu compliqué pour la préhistoire. Les grandes fresques des grottes ornées du paléolithique supérieur sont considérées comme des œuvres d’art, même si on peut s’interroger sur le fait, un peu anachronique quand même, de les appeler des œuvres d’art. Il est en effet douteux que les Préhistoriques les considéraient de la manière dont nous les considérons, nous, des dizaines de milliers d’années plus tard. Mais ce qui est sûr, c’est que ne sont pas des graffitis. Il n’en reste pas moins que certaines expressions graphiques préhistoriques pourraient être des graffitis : graffitis de délassement tels ces traits emberlificotés en « spaghetti », comme disait l’abbé Breuil, sur de nombreuses parois. Graffitis signatures comme certaines de ces mains si fréquentes dans les grottes, qui semblent vouloir nous dite : « ces mains, c’est moi, je suis passé par ici ». Il s’agit bien sûr d’hypothèses. Mais il n’est pas rare encore aujourd’hui, quand quelqu’un s’ennuie dans un lieu, qu’il trace un peu n’importe quoi sur le mur qu’il a devant lui. De même, pour les mains : le Hollywood boulevard est constellé des empreintes de mains de vedettes qui manifestent leur identité, leur signature, de cette manière. Or, sous forme dessinée mais surtout écrite les signatures, les noms et dates laissés par les anonymes qui à quelques rares exceptions près (Victor Hugo un peu partout, Hubert Robert sur le Colisée) le resteront, représentent un fort pourcentage des graffitis retrouvés. Ensuite, dans le temps, on trouve des graffitis dans toutes les civilisations, dans toutes les cultures écrites ou non. Ils nous apprennent évidemment beaucoup de choses sur la vie quotidienne de ceux qui les ont tracés, qu’ignore l’histoire officielle des époques où ils vivaient. Les graffitis sont la voix des sans voix ! Mais ils peuvent permettre aussi certaines corrections historiques. Ainsi en est-il de l’irruption du Vésuve. Se fiant à ce qui était considéré comme des déclarations de Pline le jeune qui écrivit 20 ans après le drame, l’Histoire avait retenu le 24 août 79 comme date de la disparition de Pompéi sous les feux du volcan. Or des fouilles récentes ont exhumé un graffiti daté du 17 octobre 79. Il y avait déjà des doutes sur le 24 août mais ce graffiti a apporté la preuve définitive que les scientifiques attendaient. Y eut-il une erreur de transcription de la date et quand ? Pline a-t-il bien mentionné la date fautive ? Reprise ensuite inlassablement de copiste en copiste pendant 1000 ans ou plus, cette erreur représente un cas intéressant à étudier de distorsion de l’Histoire.

Qui s’intéresse aux graffitis, et notamment quelles disciplines universitaires ?


L’exemple de l’irruption du Vésuve montre combien l’archéologie et l’histoire peuvent être concernées. Mais aussi toutes les sciences qui ont pour objet le langage comme la philologie, toutes les sciences humaines comme l’anthropologie, la psychologie, la sociologie. L’héraldique et l’histoire de l’art également, bien sûr. Bref, la liste est longue. Si un département de Graffitologie devait être créé un jour dans une université, comme je l’appelle de mes vœux, il aurait l’intérêt de coordonner de manière efficace toutes ces disciplines.

Quel est le but de votre association et de ces colloques bisannuels ?


Notre association le Groupe de Recherche en Graffitologie Ancienne dont on peut voir les publications et la transcription des actes des colloques sur notre site : « GRGA, graffitis anciens » a pour but de faire connaître, préserver et réfléchir sur le patrimoine que les graffitis anciens représentent. Faire connaître au moyen de notre site et de nos colloques, préserver en sensibilisant le plus de monde possible : édiles ou simples citoyens. Le temps travaille contre nous car les graffitis souvent exposés aux intempéries disparaissent. À l’inverse il travaille aussi pour nous : les graffitis anciens qu’on éliminait d’un revers de Karcher sur les monuments et ailleurs sont maintenant souvent préservés voire restaurés. Les exemples sont nombreux et nous nous efforçons de les collecter.

En quoi les techniques d’analyse ont évolué ces dernières décennies ?


Les pionniers de l’archéologie déposaient des calques sur les gravures et dessins et en relevaient les contours et détails. Il en allait de même pour les graffitis aux endroits où on les rencontrait. Le créateur du Musée du graffiti à Verneuil-en-Hallate, Serge Ramond, a fait de nombreux moulages respectueux des graffitis qu’il expose dans ses salles. Mais c’est bien sûr la photographie qui est la plus utilisée : argentique puis numérique puis en 3D et les perfectionnements continuent. À ce sujet je vous renvoie volontiers à notre colloque de 2015 où des cher- cheurs de la DRAC de la région Nord Pas de Calais de l’époque ont exposé les techniques numériques qu’ils avaient mises au point pour relever le très riche patrimoine graffitique du châ- teau de Selles à Cambrai. Par ailleurs des logiciels tel qu’image avec D Stretch permettent de repérer sur les images des détails qui avaient échappé à la vue de l’observateur. Le graffiti n’enrichit pas seulement les sciences humaines, il met aussi à contribution et fait évoluer les sciences dures !

Après La Rochelle en 2021, pourquoi avez-vous choisi Martel pour ce colloque national ?


À La Rochelle où le riche patrimoine graffitique de la tour de la Lanterne a fait l’objet d’une étude minutieuse de la part d’un des nôtres, Luc Bûcherie, nous avons eu le plaisir de faire la connaissance lors de notre colloque de 2021 de Pierre Verdier. Il est venu nous parler de la tour de Tournemire à Martel, nous montrer des photos des graffitis sur ses murs. Le contact a tout de suite été facile avec Pierre, l’intérêt graffitique de la tour nous est apparu évident et méritant d’être mis en lumière. Grâce à l’appui logistique de la mairie de Martel que nous remercions et à la collaboration amicale de l’association Les Tours de Martel, ce 5ème colloque national des graffitis anciens du GRGA, où deux communications, celle de M. Gérard Lavayssière et celle de M. Hugues Châtain, seront consacrées aux graffitis de la tour, sera une belle réussite.

Pierre VERDIER

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